Bienvenue en Junglistan

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"Hum... suis-je bien féministe ?"

 

Y a des matins, comme ça, on se sent en complet décalage avec le reste du monde. En particulier ce lundi matin de mars où, les doigts serrés autour de mon gobelet de thé au citron bouillant, j'écoute d'une oreille distraite le papotage de mes deux collègues de boulot.

 

Rosalie [tout sourire] : ça y est ! Dominique a pris le train ce matin pour le Jura. Il emménage dans son appartement de fonction aujourd'hui !

Pénélope [les yeux brillants] : ah, ton homme a eu enfin sa mutation ? C'est cool ça ! T'as la maison et tes filles pour toi toute seule alors ? Le rêêêêve ! Moi le mien, il est parti en voyage d'affaires en Chine le trimestre dernier. Il y est resté tout un mois. C'était le paradis ! La maison et les enfants pour moi toute seule ! Le lit pour moi toute seule ! La voiture pour moi toute seule ! Quand il est revenu, j'avais qu'une envie : qu'il y retourne !

[S'avisant de ma mine perplexe et vaguement choquée, elle rajoute embarrassée]

« Enfin... pas vraiment qu'il y retourne mais tu m'as comprise... On s'entend bien avec mon mari, hein ! C'est juste que je m'occupe déjà de tout à la maison : le ménage, les enfants, les comptes, les papiers... des fois, j'ai l'impression qu'il traine dans mes pattes.

[Hochements de tête vigoureux de Rosalie qui visiblement est sur la même longueur d'onde]

« Et puis il ne veut rien faire. La cuisine, les papiers... ça ne l'intéresse pas ! Si je l'écoutais, on ne ferait jamais de repassage par exemple. N'empêche, il est bien content de trouver ses tee-shirts bien rangés sans plis dans l'armoire le matin !

[Mine coupable de Cixi qui ne repasse jamais le linge sauf en cas d'alerte rouge]

« Si je l'écoutais, ce serait pizzas tous les soirs par exemple. Quand moi je me casse la tête à faire des repas équilibrés pour Jade et Hugo. Ou alors tiens ! En parlant d'Hugo, le petit ne va visiblement pas bien en ce moment. La maîtresse m'a donné les coordonnées d'une « pédopsy ». Quand il a appris que j'avais pris rendez-vous, il s'est mis en pétard ! A l'écouter, le petit n'en aurait pas besoin alors que je sais c'est le cas...

Ouf ! Sauvée par un coup de fil intempestif, je laisse mes deux commères à leurs complaintes.

 

Plus tard dans la matinée, je repensais à Pénélope et à ses « si je l'écoutais », à ses « à l'entendre » et à la façon insidieuse dont elle avait mis en scène son sacrifice quotidien pour son foyer ou encore le statut à la fois de Wonder Woman et de victime qu'elle en retirait.  

« Je suis féministe ! » Je me suis toujours revendiquée comme telle depuis mon adolescence.

Dans ma petite tête qui n'avait pas vraiment creusé le sujet, être féministe revenait à dire « hommes et femmes égaux ».

En effet, j'ai la solide conviction que par delà les inévitables comparaisons biologiques, ce qui compte vraiment, c'est ce qu'on a en commun : une tête, un cœur, de la logique, des émotions, du raisonnement, de l'ambition, de la bêtise, de la violence, de l'humour... toute chose que l'humanité mâle, femelle ou à poix verts ont en partage.

 

D'ailleurs, j'ai toujours écouté avec suspicion ceux qui font grand cas de LA différence. Ça commence toujours par des observations objectives et raisonnables du type : « ben quoi ! Vous voyez bien qu'on a pénis et vous des seins et que ce n'est pas pareil non ? » Ou encore « Vous voyez bien qu'on a la peau rose et les yeux bleus et vous la peau noire et les yeux marrons ? »

Jusque là, tout va bien.

 

Mais de la simple observation aux purs fantasmes, il y a une fosse abyssale que les « différentialistes » franchissent avec autant d'enthousiasme que de bêtise. Et Il n'est pas rare que le discours s'égare alors dans des conclusions du style « et c'est pourquoi les hommes sont d'un naturel plus violent et donc des gibiers de potence tandis que les femmes, d'un naturel plus doux, sont plus aptes à élever des enfants » ou encore « et c'est pourquoi, même si le petit est élevé dans une famille de blonds aux yeux bleus, il sera quand même un trafiquant de drogues, parfaitement ! »

Hum !

Vous comprendrez qu'à l'heure où aucune science n'a tranché la question de l'innée et de l'acquis dans le domaine comportemental, les « différentialistes » de tous poils me mettent bien souvent en rogne.

Quel rapport avec le féminisme ? J'y viens.

 

Pour moi, le féminisme c'est la possibilité pour les femmes de disposer de leur corps, de leurs biens, d'avoir des opinions, de pouvoir les exprimer, d'avoir accès à la même éducation que les hommes, avoir les mêmes chances de développement...

Ce qui présuppose que les hommes ont déjà acquis ses droits. Un juste rattrapage en somme (et y a encore du boulot !).

 

Mais voilà, je me rends compte que bizarrement, si les hommes ont indéniablement encore des domaines « réservés » où ils tentent, vaille que vaille, de préserver leur supériorité (travail, politique, etc.), il est des domaines « réservés » que les femmes gardent jalousement et où l'homme est souvent considéré comme « globalement moins bon » : le foyer et les enfants.

 

Dans le Philosophie magazine du mois de mars (mais si voyons ! Vous savez bien ? Celui sur le thème « la télé rend elle méchant ? » ça a fait un gros buzz sur Médiapart), il y a un dialogue très intéressant entre Elisabeth BADINTER et Claude HABIB : « cherchez la femme ».

 

Où l'on apprend - de la bouche de Claude HABIB - des choses proprement stupéfiantes comme par exemple, que le désir d'enfant est exclusivement féminin, que la femme séduit l'homme pour atteindre son but (avoir un enfant), que par conséquent elle doit en assumer seule les conséquences. Si l'homme veut bien se prêter au jeu, tant mieux. Mais qu'il ne faut pas trop en demander parce qu'il ne fera jamais l'expérience du désir de transmission. Alors certes, on voit bien ici et là l'émergence de « papaïsation » attendrissante ( !) mais - restons sérieux cinq minutes - c'est la femme qui a naturellement l'envie d'ériger des murs autour de son enfant pour le protéger.

 

Face à elle, une Elisabeth BADINTER que j'ai trouvée drôlement peu combative pour celle qui a écrit « XY - de l'identité masculine » qui met en exergue l'émergence de nouveaux modèles masculins plus investis. Certes, elle défend l'idée qu'une femme n'a pas besoin d'être mère pour être féminine mais sans jamais arriver à être convaincante et pour cause ! Celle-ci ne remet jamais en cause le présupposé initial : « l'enfant, et par extension le foyer, est affaire de femme. »

 

Tout se passe comme si, dans ce domaine, l'homme ne pouvait qu'imiter - au mieux - mais jamais surpasser sa compagne. Ah, et il est aussi prié de ne pas avoir d'idées saugrenues du type « se prendre un peu moins la tête avec le ménage » ou encore « dédramatiser la situation avec les enfants ». Lui n'a pas les millénaires d'expérience en matière de maternité que le sexe confère à ma collègue Pénélope par exemple ! Fichue biologie... c'est vrai qu'il lui reste la paternité, ce truc moderne « attendrissant » qui ne saurait soutenir la comparaison avec la sacro-sainte maternité.

 

A la lecture de ce dialogue, mon homme aura le commentaire suivant « C'est pas croyable ! En fait, elles sont complètement à côté de la plaque toutes les deux. Elles vivent dans un monde utérocentrées ! »

 

C'est d'autant plus frappant pour lui que notre monde de jeunes « pas tout à fait trentenaire » regorge de situations où, en matière de foyer et d'enfants, Monsieur n'a rien à envier à Madame. Et mon homme de me raconter en rigolant comment le matin même, sur son jeu vidéo « online », tous les joueurs (hommes) d'une équipe avaient pris une pause pour changer les bébés et préparer la tambouille avant le retour du boulot de leur épouse respective.

 

Comportements isolés ? Phénomènes de mode genre « papaïsation attendrissante » ? Je n'y crois pas. Les nouveaux papas autour de moi s'investissent et veulent leur place dans ce bastion féminin qu'est le foyer parce qu'ils y voient une aventure, un challenge, une richesse émotionnelle, une autre façon de se construire et de créer des liens. Pour eux (pour nous, bébés des années 80, élevés au chômage et aux crises économiques) le boulot n'est pas l'alpha et l'oméga d'une existence. Au taf, on nous prend, on nous jette, les quinquas et baby boomers trustent les meilleures places... A quoi bon sacrifier sa famille pour un job dont vous changerez dans cinq ans ?

 

En revanche, autant je constate autour de moi de jeunes papas désireux de s'investir, autant je m'aperçois qu'ils n'ont pas la tâche aisée. Toutes nos représentations des enfants et du foyer s'articulent autour du féminin. Par exemple, les livrets explicatifs de la CAF regorgent de petites illustrations de bébés et de mamans. Les représentations de papas y sont largement minoritaires. De même, sur le dernier formulaire CAF que j'ai reçu, un fonctionnaire zélé avait déjà pré-remplie mon formulaire et l'avait adressé par défaut au partenaire féminin du couple.

 

Bien sûr, on pourra me rétorquer que des exemples ne font pas des généralités. Que les hommes qui « papaïsent » (je déteste ce terme) sont encore minoritaires. Que les corvées ménagères et les soins des enfants sont bien souvent relégués aux femmes par défaut. Que c'est encore très largement la femme qui s'arrête pour élever ses enfants et non l'inverse.

 

A quoi je répondrais... que si nous voulons VRAIMENT permettre à nos compagnons d'investir ces champs, nous devons modifier nos représentations. De la même façon qu'il est urgent de montrer dans les livres d'orientations scolaires des femmes pompiers, des femmes médecins ou des femmes dans la finance, il est tout aussi urgent de montrer des infirmiers, des puériculteurs, des assistants maternels (rien que ce terme déjà !!!) ou des maïeuticiens.

 

Les féministes telles Elisabeth BADINTER ou Claude HABIB ne peuvent pas brandir la parité dans le travail ou la politique et disserter tranquillement sur une prétendue supériorité des femmes en matière de bébés. Si elles s'émeuvent du peu de femmes cadres dans les entreprises, pourquoi ne dénoncent-elles pas également les pressions que subissent les nouveaux pères au travail lorsqu'ils veulent poser leur congé paternité par exemple ? Où sont-elles sur les questions du droit de garde des pères, ou encore de l'accès des hommes aux métiers de la petite enfance ? Trouvent-elles ça normal que bien des parents soient plus rassurés de confier leur enfant au soin d'une femme plutôt qu'un homme ?

 

Si le féminisme veut être encore audible, il ne pourra pas - à mon sens - s'en tenir à un discours utérocentré où l'homme est relégué au rôle d'oppresseur ou de vague imitateur. Il va falloir reconnaître sa compétence dans la sphère familiale, même si Monsieur a une conception plus « curative » que « préventive » du ménage (^_^).

 

Article publié ici le 7 avril 2010



28/03/2011
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