Bienvenue en Junglistan

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L'art délicat du C.V.

Avec l’annonce du plan présidentiel à destination des jeunes, j’avais prévu initialement de vous faire un petit topo sur les dispositifs de la formation en alternance mais un e-mail tout récent de mon petit frère m’a détourné de cette tâche. Non, non ! Surtout ne regrettez rien, car ce que j’avais écrit était –sommes toutes – assez scolaire (après, si vous insistez vraiment, … ;o)

 

Bref, lundi matin, j’ouvre ma boite mail du boulot et là – surprise ! – je lis un message de mon petit frère, actuellement en 3ème année de licence en économie à Limerick, Irlande (merci au programme Erasmus qui a permis à Fabilhou – fils d’employée et d’ouvrier – de faire une année scolaire à l’étranger). Je vous en livre la teneur :

« Ecoute je profite d'avoir une soeur qui bosse dans les ressources humaines, pour te demander si tu pourrais jeter un coup d'oeil sur mon CV. (Flattée, je suis !)Je t'explique ce CV n'est pas pour un JOB mais pour postuler dans une université pour l'année prochaine. (Mais tant qu’a y être – me dis-je, lisant entre les lignes– autant faire d’une pierre deux coups et prévoir pour ta recherche de job d’été, n’est-ce pas ?)

Voilà, sur le CV je n'ai pas encore ajouté la photo mais je compte mettre une photo en chemise cravate pour info. (A ce passage, je fais une horrible grimace)

Ah oui ! J'ai remplacé [mon] adresse mail, j'ai créé une new adresse pour l'occasion pour [recevoir] les 2 [types] cv !! Elle fait plus sérieuse. (Quand je vous disais qu’il comptait recycler le CV pour sa recherche de job d’été, le petit futé !)

Dis ce que tu en penses !! »

Mon premier réflexe fut d’imaginer mon Fabilhou en costard cravate, lui, l’archétype même du beau gosse méditerranéen. Mais si, vous savez bien ! Ce savant mélange d’Espagne, d’Italie mâtiné de Maghreb avec le cheveu savamment décoiffé immortalisé à grand renfort de gel, la petite chemise noire classe dont les premiers boutons sont dégrafés, le jean qui tombe toujours impeccable agrémenté d’espadrilles ou de tongues qui, sur lui, sont du premier chic quand sur vous, ça fait touriste ! (je m’égare. Je ferai un procès en favoritisme à mes parents plus tard)

 

Bref, donc LUI en costard cravate… Mouahah ! Chaussant mes petites lunettes strictes de recruteur, je me dis qu’il ne sera jamais crédible dans cet état. Au mieux obtiendra-t-il une photo horrible qui le fera passer pour un agent de sécurité. Je remise ça dans un coin de ma tête pour y revenir plus tard.

Quand on y regarde de plus près, le Curriculum Vitae – où CV de son petit nom – est une étape dans la recherche d’emploi que nous avons réussi à transformer en gageure à grands renforts de règles, dogmes et autres archétypes. Sensées nous permettre de décrocher le saint graal (comprenez : l’entretien), ces règles n’ont comme unique résultat que celui d’uniformiser les CV de tous les candidats, les rendre le plus lisse possible.

Ajoutons à cela une particularité bien française : celle de rendre une anodine candidature en un redoutable exercice de résumé dans lequel on vous demande de faire tenir en une seule et unique page la totalité de vos expériences, compétences, formations et autres hobbys. Et attention à ceux qui dépasseraient le fameux standard !

Et je ne vous parle même pas de la lettre de motivation ou – pire – de l’entretien d’embauche qui feront peut être l’objet d’autres billets !

Mouais… en attendant, la préoccupation de mon petit Fabilhou, du haut de ses bientôt 24 printemps, n’est pas de tout faire tenir sur une page mais plutôt d’arriver à en remplir une bien que, loin d’être fainéant, le môme travaille tous les week-ends et toutes les vacances depuis l’âge de 16 ans. Ben oui ! Croyez-vous que les jeans tombent bien sur vous par miracle ? Que nenni ! C’est d’abord parce qu’ils vous ont couté les yeux de la tête et ce même s’ils étaient en solde !

Je double-clique donc sur le CV en pièce jointe de mon frère. Immédiatement après avoir affiché la page, je clique sur l’icône « afficher tout » (ctrl+8 pour les initiés) histoire de voir s’il maîtrise l’art délicat de l’alinéa et de la tabulation. Si vous avez l’occasion d’envoyer des CV par e-mail (ce qui est de plus en plus fréquent), en vérité je vous le dis ! Ne faîtes pas l’impasse sur la mise en page. Rien de plus agaçant que de voir des séries de « barre espace » pour arriver au milieu de la page ! Vraiment, si vous ne maîtrisez pas la mise en page sur office (Open ou MS d’ailleurs), choisissez plutôt d’envoyer votre CV par la poste. Surtout ne partez pas du principe qu’une fois imprimée cela ne se verra pas car si c’est le recruteur qui ouvre la pièce jointe, IL saura (à moins qu’il ne soit également une bille en traitement de texte auquel cas il n’y verra que du feu).

Revenons-en au CV de mon frère. A ma grande fierté, pas de successions de barres espaces chez lui.

Impression générale maintenant. A première vue, l’exercice semble compris. Identité en haut, avec l’âge, l’adresse postale et le mail.

Petit commentaire sur l’idée de mon frère d’ouvrir un nouveau compte email avec une adresse plus « sérieuse ». Si vous souhaitez ouvrir un nouveau compte pour des raisons pratiques comme avoir un email dédié à la gestion de votre recherche d’emploi, alors faites-le. Si c’est parce que vous avez peur qu’on vous juge sur la base de votre email perso, je reste fortement sceptique. En effet, comme je le disais à mon frère, lorsque je regarde un CV, l’adresse email du candidat n’est vraiment pas un critère de sélection. Je vous jure ! En tout cas, pas chez moi.

Le seul moment où je regarde l’email, c’est lorsque je le saisie pour donner une réponse négative. Donc, à ce moment là, vous vous en fichez comme d’une guigne de savoir si je trouve l’adresse sérieuse, immature ou drôle puisque ma décision est prise, n’est-ce-pas ? En tout cas je l’espère pour vous. Et puis, une adresse qui sort un peu de l’ordinaire (et pas genre ker92[at]trucmuch[point]com) je trouve ça rafraichissant, surtout lorsque vous avez examiné 200 ou 300 CV standardisés. Une adresse mail rigolote, personnalisée, c’est un peu montrer de votre humanité.

A l’occasion, réfléchissez à l’importance de montrer votre humanité et votre singularité à quelqu’un pour qui vous n’êtes (par la force des choses) qu’une page dans la grande pile du dossier recrutement. Imaginez le recruteur sourire à la lecture de l’e-mail. C’est sûr que ça ne changera pas sa décision à votre égard (encore que…) mais si vous venez à téléphoner pour connaître les raisons qui l’ont conduit à écarter votre candidature, peut-être prendra-t-il la peine de vous expliquer pourquoi, ou encore de se souvenir de vous pour un autre poste. La mémoire est une chose si bizarre !

 

Même remarque pour la section « loisirs » ou « hobbys » du CV. Vraiment, lorsque vous en êtes à votre 101ème CV, vous ne vous attardez pas sur un «loisir : sport, lecture et cinéma ».

Par contre, si vous écrivez « loisirs : passionnée de handball que je pratique dans mon club de tartampion depuis X ans, je suis également une grande voyageuse dans l’âme. J’ai eu l’occasion de visiter le Maroc, la Grèce et plus récemment la splendide ville de Prague. Par ailleurs, je suis une grande fane de cinéma et en particulier du réalisateur Clint Eastwood » là, vous aurez peut être la chance d’attirer, au choix : le joueur de hand ou le supporteur de l’équipe de hand de France, celui qui a visité Prague ou la Grèce dans sa jeunesse, ou encore celui qui a toute la collection des films de Clint Eastwood.

 

Vous trouvez ça dérisoire ? Détrompez-vous ! J’ai eu l’occasion de passer un entretien d’embauche avec un recruteur qui m’a longuement questionné sur mon goût pour la littérature fantastique. Ce jour-là, nous nous sommes livrés à un examen en règle de toutes les revues littéraires de France sur la question. Voilà comment une gamine de 21 ans a décroché un entretien pour un poste dans lequel elle n’avait pas la moindre expérience. Comme quoi, ça tient à peu de chose parfois.

 

« C’est bien beau mais ça fait pas vraiment esprit de synthèse votre histoire là » m’objecterez-vous peut-être, avec raison d’ailleurs. Et puis, dans un CV, ça ne se fait pas de parler à la première personne ce qui est paradoxal car c’est pourtant de soi dont il s’agit

C’est vrai, mais dans la jungle de toutes ces règles et standards que doit forcément suivre une candidature, est-ce qu’on n’en oubli pas l’essentiel ? Une relation de travail, c’est 1°) ce que vous connaissez, 2°) ce que vous savez faire mais aussi 3)°ce que vous êtes : jovial ou sérieux, fan de ciné ou de boxe, amateur de thé, de café ou de chocolat, aficionados de corridas ou amatrice de littérature fantastique, genre « plagiste » ou bien « costard cravate » … toutes ces choses auront leur importance dans vos relations avec votre patron, avec vos collègues.

 

Alors, le CV, plusieurs pages ou pas ? Tout dépend de ce que vous avez à dire. Si c’est pertinent, peu importe, si ce n’est pas votre style, une page suffira.

De la couleur dans le CV ou pas ? Là encore, choisissez ce qui vous plait et vous ressemble. Vous aimez l’Espagne et ses couleurs vives ? Parez votre CV de rouge, de jaune et de noir. Vous êtes quelqu’un de classique ? Du noir et blanc ou encore du pastel sera tout aussi efficace si vous l’accompagnez d’une mise en page intelligente.

Photo ou pas ? Si vous ne vous aimez pas en photo, ne la mettez pas ! Si vous n’êtes pas costard cravate, inutile de vous déguiser. Vous êtes charmant(e ) et vous pensez que ça peut être un atout, foncez ! Si au contraire, votre éthique vous pousse à dédaigner ce genre de pratique, alors abstenez vous ! Si vous êtes quelqu’un au sourire facile, souriez sinon, évitez ! Juste une remarque : évitez peut être les photos d’identité qui font souvent des têtes de terroriste ;o)

 

Mentionner votre âge ou pas ? Si vous êtes quelqu’un de direct, à l’aise sur la question, faites-le. Sinon, ne le faites pas. Deux options : si le recruteur a des à priori sur les salariés de plus (ou de moins) d’un certain âge, alors que vous l’indiquiez ou pas n’y changera pas grand-chose. Et puis, posez-vous la question : voulez-vous vraiment travailler pour un idiot bourré d’à priori ? L’autre option, c’est que votre âge peut jouer en votre faveur. Pensez par exemple qu’il existe des aides de l’état pour les employeurs qui recrutent des salariés de plus de 50 ans.

Même chose pour le handicap. Aujourd’hui, le mentionner est souvent un « petit plus » dans le CV. Dans le cas contraire, si on vous discrimine parce que vous êtes handicapé, est-ce que ça vaut vraiment le coup de travailler avec quelqu’un qui ne vous acceptera pas ? D’un autre côté, vous ne ressentez peut être pas le besoin de le mettre en avant. Auquel cas, si vous avez le poste, pensez bien à l’indiquer à votre employeur. Ça lui fera un petit bonus pour le paiement de sa taxe pour les travailleurs handicapés et il vous en remerciera, croyez-moi !

 

Bref, vous l’aurez compris, le CV doit vous ressembler. Loin de cet exercice rigide qu’on essai d’en faire, je pense qu’il faut revenir à l’humain. Alors, bien sûr, cela n’empêche pas de vous mettre à la place du recruteur pour voir ce qui est important et éliminer ce qui ne l’est pas.

Par exemple, identifiez clairement les sections « expériences professionnelles », « compétences », « formation », « informatique », « langues » ou encore « hobbys ». Si vous êtes pleinement dans la vie active et avez beaucoup d’expérience, indiquez votre dernier diplôme en date et les formations en rapport avec le poste mais inutile d’indiquer que vous avez eu votre BEPC en 1975 ou votre bac série L en 1980 au lycée Machinchose.

En revanche, si vous débutez, la section « formation » sera forcément plus grande et significative que celle de « l’expérience professionnelle ». Dans ce cas, indiquez les établissements, les options, les enseignements spéciaux que vous avez suivi, les éventuelles mentions, vos éventuels sujets de mémoire. Pour vous, vos atouts seront vos connaissances théoriques donc mettez-les en valeur. Et inutile de gonfler démesurément vos jobs d’étudiants parce que cela se verra à l’entretien (les jobs d’étudiants, c’est surtout bien pour montrer que vous êtes bosseur et que ça ne vous rebute pas de passer « par la petite porte » comme on dit).

 

Parfois, vous débuterez dans la vie sans diplôme et sans expérience professionnelle significative (c’est souvent le cas pour les très jeunes, tous le monde n’a pas la chance d’avoir papa/maman chef d’entreprise). Dans ces cas-là, faites feu de tout bois. Baby-sitting (vous êtes responsable), maçon au black avec papa (vous êtes bosseur), amateur de théâtre (vous êtes à l’aise en public), vous assemblez des PC pour votre entourage (vous êtes autodidacte), vous faites partie d’une association (vous aimez le travail d’équipe), vous tenez occasionnellement la buvette à la foire du village (vous avez le sens du relationnel et vous savez rendre la monnaie), etc. L’essentiel, c’est de faire passer l’idée que vous êtes quelqu’un de ressources qui peut apporter quelque chose à l’entreprise. L’inexpérience, ça passe avec l’âge, promis juré !

 

Bref, le bon CV est un CV qui évolue tous le temps, au rythme de son créateur et en fonction du poste qu’il vise. Le bon CV plait à celui qui l’a fait, lui ressemble et le met en valeur. Le bon CV est d’ailleurs très souvent une construction de plusieurs personnes qui se sont penchées avec sérieux sur la question (genre : « là, tu devrais mettre ça ! » « Tu devrais enlever ça, ce n’est pas utile »).

 

Le bon CV ne vous garantira pas l’entretien à tous les coups, mais si entretien il y a, vous n’aurez alors pas besoin de jouer un rôle. Et si cela devait déboucher sur un contrat en bonne et due forme, alors vos relations de travail débuteront dans la franchise et vous resterez vous-même. Et ça, c’est ce que devrait être une relation de travail.

 

Article édité ici le 27 avril 2009



28/03/2011
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