Bienvenue en Junglistan

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Elle court, elle court, la rumeur...

La scène se déroule un vendredi matin neigeux (1). Les doigts gelés, la tête tout à mon week-end qui approche à grands pas, j’ouvre ma boite mail du boulot. Un message mystérieux me saute aux yeux : « TR : mise en garde… ».

J’aime à me dire que la nature – dans son infinie sagesse – m’a doté d’un caractère zen. Par conséquent, ma première pensée en lisant l’intitulé alarmiste du mail, ne fut absolument pas : « et m*** ! L’informaticien m’a choppé une fois de trop sur Internet ! » Pas du tout, vous dis-je !

Avec le calme olympien de celles et ceux qui en ont vu d’autres (et des pires !), je jette un coup d’œil à l’émetteur du message. Il s’agit de ma collègue de boulot Pénélope. Inquiète, elle a tenu à informer la totalité de son carnet d’adresses d’un grave et nouveau danger qui menace les automobilistes. Bien entendu, c’est un de ses amis qui l’en a informé (ainsi que tout son carnet d’adresses) qui lui-même le tient d’une copine (qui avait également transféré le message à tous ses contacts etc. Pas besoin de vous faire un dessin.)

 

« Un grave et nouveau danger » disais-je… Imaginez la scène : vous rejoignez votre voiture dans un parking anonyme. Vous montez dans votre véhicule, mettez le moteur en marche (après avoir bouclé votre ceinture, n’est-ce pas). Un coup d’œil dans le rétroviseur avant d’attaquer votre marche arrière. Mais… qu’est-ce donc ?! Coincé sous votre essuie-glace arrière, un prospectus.

Ni une, ni deux, vous sortez de votre véhicule (non sans avoir bataillé contre ladite ceinture) pour ôter le bout de papier. C’est ce moment précis que choisi un voleur particulièrement fourbe pour sortir de sa cachette (pas de mauvais esprit ! les cachettes sur les parkings sont légions), s’engouffrer dans votre véhicule dont le moteur est resté allumé (car en plus d’être négligent, vous n’avez pas la moindre once de conscience écologique) et prendre la tangente. Adieu Renault Safrane, autoradio, papiers, chéquier, et petit dernier dans son siège auto ! Quelle catastrophe !

Moralité : « Si vous voyez un papier collé à l'arrière de votre voiture, fermez vos portes de voiture à clés, démarrez et partez. Vous enlèverez le papier plus tard. » Simple et plein de bon sens, n’est-ce pas ?

 

Pour bien vous faire prendre conscience de l’ampleur du danger qui vous guette, des phrases choques ont été soigneusement mises en évidence à grand renfort de gras, d’italique, de changement de taille, de police et de couleur : « Mise en garde de la police », « cela s’applique pour les hommes et les femmes », « ET devinez quoi mesdames ? », « Votre maison et votre identité sont donc compromis ! », « MISE EN GARDE SUR CETTE NOUVELLE FACON DE PROCEDER. ». Par ailleurs, le mail est estampillé d’un petit panneau « attention danger » et on vous recommande chaudement de faire circuler l’information.

Devant tant de gages de sérieux, aucun doute sur la destination du mail… c’est direct dans la CORBEILLE selon l’expression consacrée d’Hoaxbuster(2).

Vous l’aurez compris, cette histoire est hoax (un canular), une légende urbaine.

 

On en a tous entendu, des rumeurs qui se répandent comme des feux de forêt, que les gens se répètent avec un mélange de répulsion et de fascination. On se les transmet devant la machine à café, dans les cours de récré, dans des soirées entre amis, à la photocopieuse

  •  « Moi j’ai prévenu mes gosses : Surtout qu’ils n’acceptent pas de bonbons à la sortie de l’école. Il paraît que des dealers imitent des bonbons à la fraise pour refiler du chrystal meth aux gamins… »
  •  « Vous avez entendu parler de ce gamin au Brésil qui est mort l’estomac explosé après avoir bu un verre de Coca Cola et pris un Mentos juste après ? Horrible !! »
  • « Si, j’te jure ! c’est arrivé il y a quelques semaines à une amie de ma collègue de boulot. La nana qu’ils avaient prise en auto-stop a purement et simplement disparue après avoir hurlé « attention au virage ! » C’est arrivé sur la route de Palavas, du côté de Montpellier. »

 

Elle court, elle court, la rumeur(3). Des tours HLM à l’Elysée, des vestiaires de foot au CNRS, des cours d’écoles à Polytechniques, des bars PMU aux rédactions du Monde ou du Figaro (et pourquoi pas de Médiapart d’ailleurs).

La beauté des légendes urbaines, c’est que tout un chacun est susceptible de croire à l’une d’elles et ce peu importe son niveau d’érudition ou son intelligence. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas mordu à l’hameçon de celle-ci que vous ne goberez pas celle-là !

Pour votre édification personnelle, sachez que les légendes urbaines sont des récits (4) :

  • · anonymes (dans le sens où ils sont constamment réactivés par la pensée collective)
  • · qui présentent de multiples variantes
  • · de forme brève
  • · au contenu surprenant et inhabituel
  • · raconté comme vrai et récent
  • · dans un milieu social donné
  • · dont il exprime de manière symbolique les peurs et les aspirations.

 

Personnellement, j’adore les légendes urbaines. Ce qui me frappe le plus, c’est leur caractère autonome, quasi vivant. Elles se développent, s’étoffent, se transmettent, s’adaptent. Elles meurent pour mieux ressusciter sous des formes plus modernes tels les décalcomanies aux LSD de mon enfance (distribués à la sortie des écoles) devenus aujourd’hui le Chrystal Meth qui imite des bonbons à la fraise.

Avec chacun de ces récits, c’est un peu de la « sagesse populaire » qui transite, avec son cortège d’interrogations, de peurs et d’espoir sur notre société et sur nous même.

Et grâce à Internet, elles peuvent faire le tour du monde en quelques semaines. Il se trouve toujours des « âmes charitables » pour transférer ces histoires à tout son carnet d’adresses après les avoir (mal) traduites et adaptées.

Des rats burgers de Macdo aux téléphones gratuits de chez Nokia. Des virus destructeurs de PC aux millions de dollars que Bill Gates doit distribuer aux internautes. Des avis de disparition (bidon pour la plupart ! la police décourage très fermement ce type de diffusion pour les personnes disparues) aux chaînes qui promettent bonheur ou mort horrible. De la chaine d’espoir pour sauver la petite Noémie (tout aussi bidon et particulièrement dangereux) aux histoires de vol d’organes… les histoires sont légions et nous interpellent sur tous les aspects de notre vie quotidienne : la peur et l’espoir face aux nouvelles technologies, à la médecine, aux étrangers, au sexe, à la drogue, aux jeunes, à la nourriture, …

 

Si elles sont intéressantes et illustrent notre temps pour ceux qui les étudient avec détachement, elles peuvent avoir de nombreux effets pervers : encombrement des réseaux internet, désinformation, lassitude des gens sur un sujet donné (par exemple sur les appels aux dons ou les pétitions).

 

Elles peuvent également s’avérer dangereuse. N’oubliez jamais que la rumeur peut être utilisées comme une arme à l’encontre d’un individu ou d’un groupe de personnes. Lorsque vous diffusez « de l’info », vous faites peut être le jeu malgré vous d’individus aux intentions malveillantes comme dans le cas des atteintes à l’image par exemple.

  • Tel rumeur sur un politicien bien connu n’a-t-il d’autres objectifs sous couvert de droit à l’information ?
  •  Etes-vous sûr que les histoires entendues sur Coca Cola ou MacDo (par exemple) n’ont pas pour origine leurs concurrents ?
  • Et ces histoires de produits (chinois) défectueux ou d’arnaque aux pièces étrangères (turques)… ne pourraient-elles pas être lancées par des groupes politiques xénophobes ?

De même, on peut faire de gros dégâts avec les meilleures intentions du monde :

«  L’hôpital Tartampion reçoit régulièrement, par vagues, des dizaines d’appels téléphoniques par jour de gentils internautes qui vont aux nouvelles de la petite Brenda atteinte de leucémie foudroyante, patiente inconnue à l’hôpital ! Les standardistes sont au bord de la crise de nerf. La Direction passe un temps fou en démentis. Et sans aucune augmentation notable du nombre de dons de sang ou de plaquettes !

« Charlotte est exaspérée ! Voilà quatre ans que son avis de disparition circule sur internet. C’est la cinquième fois qu’elle le reçoit. Il s’agit bien de sa photo, mais ce n’est plus son nom, ni sa région d’origine et sa date de disparition est sans cesse réactualisée. Tout ça pour être rentrée avec deux jours de retard de son week-end au camping ! Un ami d’un ami(5) avait cru bien faire en signalant sa disparition à tous ses contacts mail. A l’époque, le standard de la police local avait sauté et ses parents avaient dû changer de numéro de téléphone. Bonjour l’ambiance à son retour ! Ce mail n’arrêtera-t-il donc jamais de tourner ?

Alors maintenant, tous en cœur : « je jure de ne plus forwarder(6) de messages à tous mes contacts, de recouper les informations que je reçois, de découvrir la vérité et, ainsi, m’engage à rejoindre les rangs des très honorables hoaxbusters(7) ». Et voilà ! Bienvenu à bord ! (^_^) (8)


 

(1)Contrairement à une idée largement répandue y compris chez les autochtones, la neige est relativement fréquente dans nos contrées méditerranéennes. Une fois tous les deux ans selon MétéoFrance. Pourtant, à chaque fois, c’est toujours un évènement. Les autochtones se divisent alors en deux catégories.

La première regroupe ceux qui restent le nez collé à la fenêtre avec un air de ravissement mêlé d’effroi et qui répètent inlassablement « vous croyez que ça va tenir ? » Vous ne savez jamais trop s’ils souhaitent que la neige fonde ou non. A vrai dire, je crois qu’ils ne sont pas bien fixés eux-mêmes. On voit sur leur visage la lutte intérieur que se livre le gamin qui veux se rouler dans la neige et le sudiste pour qui neige rime avec froid, humidité, verglas, hématomes et bagnole dans le fossé.

L’autre catégorie regroupe les sempiternels râleurs qui déplorent à temps plein. Ils déplorent l’inaction des pouvoirs publics, la stupidité des gens qui s’enferment chez eux pour deux centimètres de neige, la stupidité de ceux qui sortent et ne savent pas conduire sous la neige, la stupidité des radios qui passent des messages d’alerte en boucle, la stupidité de la préfecture qui ferme les écoles, la stupidité des écoles de ne pas avoir fermé plus tôt,…

 

(2) www.hoaxbuster.com Quelques sites de références anglophone : www.urbanlegends.about.com, www.snopes.com.

 

(3) « Elle court, elle court, la rumeur », ouvrage de référence écrit par Jules Gritti.

 

(4) Définition issue de « Rumeurs et Légendes urbaines » Jean-Bruno Renard, Que Sais-je ? PUF

 

(5) « L’Ami d’un Ami » J’emploie ici l’expression à dessein car les légendes urbaines sont souvent arrivées à l’Ami d’un Ami. Les chercheurs qui étudient ces récits appellent cela un ADUA ou FOAF en anglais (Friend Of A Friend).

 

(6) Forwarder : comprendre « transférer » :o)

 

(7) Hoaxbusters : chasseurs de canular

 

(8) Pour aller plus loin : « De source sure : nouvelles rumeurs d'aujourd'hui » et « Légendes urbaines - Rumeurs d'aujourd'hui » de CAMPION-VINCENT Véronique et RENARD Jean-Bruno, édition Payot. « Le plus vieux média du monde » de JEAN-NOëL KAPFERER, édition Le seuil

 

Article édité ici le 14 janvier 2010



28/03/2011
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