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L'assurance maladie vous informe : sein ou biberon, il est temps d'y songer...

Attention : billet coup de gueule. Ames sensibles s’abstenir !

Hier, j’ouvre ma boite aux lettres et qu’y trouve-je ? Le petit guide de la maternité de 6 à 9 mois de l’assurance maladie. C’est que j’ai été une future maman consciencieuse qui a bien envoyé ses différents imprimés CERFA en temps et en heure.

 

Comme il s’agit de mon premier bébé, je me jette sur la documentation si gentiment fournie.

 

Je feuillette en travers quand je tombe sur la double page intitulé « sein ou biberon : il est temps d’y songer ».

ça tombe à pic, car en ce moment je cherche toute information pratique sur le sujet.

Vous avez dis "pratique" ?

Et j’ai bien dis pratique car dans mon entourage, les nouveaux parents sont légion (question de tranches d’âges parait-il) et ils sont unanimes : y a la théorie… et puis la pratique !

 

Vous imaginez bien que cette fameuse question de l’allaitement ou non revient donc régulièrement sur le tapis, les considérations idéologiques à la Elisabeth BADINTER ou à la Cécile DUFLOT en moins. Les jeunes parents, ça veut allier le pratique au bon pour bébé !

 

Autour de moi, le constat est le suivant : toutes mes copines jeunes mamans se sont essayées à l’allaitement (toutes sauf UNE, infirmière de son état, qui a éclaté d’un rire joyeux et m’a avoué être incapable de se passer de cigarettes plus longtemps) convaincues par l’argument massue : c’est ce qu’il y a de mieux pour votre enfant. Et, en effet, qui ne voudrait pas du meilleur pour son bébé ?

 

Mais, force est de constater que beaucoup ont jeté l’éponge lors du premier mois. Les plus résistants ne sont pas allés au-delà du congé maternité. Et le retour d’expérience est pour le moins mitigé. En vrac : douleurs, fatigues, kystes, absence de lait, contraintes médicamenteuses et alimentaires, aspiration à reprendre un peu une vie « à soi », perspective de la reprise du boulot, …

 

Ce qui est frappant en revanche, c’est que beaucoup disent avec une  mine coupable : « on a dû mal s’y prendre. Pour le prochain, promis, on tiendra plus longtemps ! »

 

En tant que future maman, je recherche donc LA bonne formule. D’où mon intérêt pour cette fameuse double page du livret !

 

Je parcours rapidement l’introduction :

Allaitement ou biberon ? Peut être avez-vous déjà fait votre choix. Si ce n’est pas le cas, voici quelques informations qui vous permettront peut être de prendre votre décision 

 

La, je me sens cœur de cible ! Donc si j’ai bien compris, nous allons parler des mérites comparés de l’allaitement et du biberon ? Chouette parce que j’ai tant de questions : peut-on mixer sein et biberon ? Si je confie bébé à mamie et que j’allaite, peut-elle lui donner un biberon de lait maternisé malgré tout en attendant mon retour ? Et les bib : stérilisation ou pas ? Est-ce qu’on peut tirer son lait et le donner au biberon et si oui, à partir de quand ? etc. etc.

 

Coup d’œil rapide sur les gros titres (les gras et italiques respectent la typo) :

 Allaiter peut protéger la santé de votre enfant...

… et veiller sur votre santé ainsi que votre silhouette ! 

Une envie personnelle avant tout

En discuter avec le papa

 

Hum [moue dubitative de Cixi], voyons si j’ai bien compris. Alors… allaiter protège la santé de mon enfant et la mienne et en plus, cela me permettra de jouer les nymphettes l'été prochain (vous aurez compris que pour cet été, c'est râpé) ? Ben plus d’hésitations ?! Devant cette envie tout à fait personnelle (et absolument pas induite) je file en parler au papa !

 

Ouais, je sais, parfois je suis un peu de mauvaise foi…

 

D’un autre côté, je note objectivement qu’il n’est pas fait mention du choix biberon ou tire lait (ou que sais-je !) dans les gros titres de cet encart « informatif ».

 

Résignée, je lis quand même dans le détail.

 

Certifié "bon pour bébé"

L’exposé de la première partie sur les bienfaits (reconnus) de l’allaitement pour les nourrissons est bien rodé : anticorps maternels = moins de maladies. Allaiter = éveiller bébé aux différentes saveurs (le goût des aliments « passent » dans le lait maternel parait-il).

Pour finir, une petite ligne précise que

les laits maternisés proposés dans le commerce apportent également les nutriments essentiels à votre enfant

 

Mais quelle mère refuserait ses anticorps à son tout petit et l’exposerait aux

staphylocoques, streptocoques, pneumocoques, aux infections types gastro-entérites, otites ou infections respiratoires

mentionnés dans ce guide ? Hein ? Je vous le demande un peu !

 

A côté de cela, l’argument des « laits maternisés qui apportent les nutriments essentiels » semble pour le moins… maigre. L’assurance maladie tient à nous rassurer malgré tout. Ce sera certes moins bien mais bébé ne mourra quand même pas de faim.

 

Si l’allaitement a bien les vertus décrites, il conviendrait aussi d’apporter – à mon sens – quelques précisions : les contraintes en matière alimentaire pour la maman restent les mêmes que pendant sa grossesse (et c’est parfois bien lourd au bout de neuf mois). Pas d’alcool, de tabac ou autres drogues, bien sûr (mais maintenant que vous êtes maman, votre vie de débauche est derrière vous n'est-ce pas ?) Mais également impossibilité de recourir à un large éventail de médicaments. Et les Dieux savent que pour certaines, ça peut être une vraie gageure.

 

Ce fut le cas pour ma copine Anne par exemple sous traitement pour sa tyroïde qu'elle a dû stopper lors de sa grossesse. Les hormones aidant, la plupart des symptômes (déprime profonde, maux physiques divers) ont été tenus en respect pendant ces neuf mois. A la naissance de bébé, elle décide d’allaiter, motivée par sa sage femme (« allez-y, quand on allaite, on baigne dans les hormones et le bonheur grâce à l’ocytocine »).

Et bien pas pour Anne. Les symptômes de son dérèglement thyroïdien sont revenus rapidement en force. Souffrante et profondément abattue, elle a arrêté l’allaitement au bout d’un mois et demi pour reprendre enfin son traitement (malgré les protestations de la sage femme : « vous devriez tenir bon, ce n’est que le baby blues ! Vous voulez ce qu’il y a de mieux pour votre enfant non ? »)

 

Donc, il me semble que c’est une information qui mériterait d’être mentionnée dans le cadre d’une documentation impartiale.

De la santé de la maman et de sa silhouette

Sur les bienfaits de l’allaitement pour la santé de maman, c’est pour le moins… lapidaire : «

La maman n’est pas en reste, plusieurs études ont prouvé les bienfaits de l’allaitement pour la mère.

Fermer le ban.

En quoi précisément cela est bon pour la maman ? Mystère ! Quant à avoir une petite référence sur les études en question : n’y songez même pas.

Mais si on vous dit que c’est bon pour vous ! Pourquoi poser toutes ces questions ?

 

En revanche, le paragraphe sur la silhouette est sacrément alléchant :

Quelle nouvelle maman n’a pas souhaité retrouver sa ligne après l’accouchement ? Soyez rassurée, vos kilos emmagasinés pendant votre grossesse pourront fondre plus facilement car ces réserves de graisse seront utilisées par votre organisme pour fabriquer le lait maternel. La nature est bien faite !

 

 

Wouaaaah ! Par où je commence…

 

Tout d’abord, je trouve qu’avancer l’argument « silhouette » en faveur de l’allaitement ne manque pas de sel. Lors de mes recherches sur Internet, j’ai eu l’occasion de lire plusieurs commentaires très méprisants sur ces femmes « qui refusent d’allaiter pour ne pas se déformer les nénés » (les françaises sont – parait-il – championnes européennes du lait maternisé. Honte sur elles !)

 

Donc je trouve ça rigolo que l’assurance maladie mette davantage l’accent sur l’argument ligne que l’argument santé en lui-même.

 

Maintenant, attardons-nous sur la formulation racoleuse de ces lignes. Moi, ça me rappelle un peu le télé-achat ou bien ces pubs genre Slim Fast. Et la conclusion massue : « la nature est bien faite ! » En ces temps de retour aux valeurs, le naturel est très porteur.

 

[Mode mauvaise foi « on »] Puisqu’on vous le dit que l’allaitement c’est bien parce que c’est naturel ! Ben à ce compte là, la variole ou Ebola aussi, c’est naturel. Quant à leurs bienfaits, c’est une autre histoire ! Remarquez, on ne peut pas nier qu’ils soient particulièrement efficaces donc, j’admets, la nature est bien faite ! [Mode mauvaise foi « off »]

"Une envie personnel avant tout" (attention : commentaires grinçants garanties)

 

Vous hésitez à allaiter ? 

 

Ben plus vraiment après cet exposé magistral.

Parlez-en avec le papa et demandez conseil aux professionnels de santé

Ouf ! Les mamans sous traitement sont sauvées.

Le choix d’allaiter appartient à chaque femme et à chaque couple

 

En effet, on a le choix : le bon choix et le pis aller.

Toute mère peut allaiter, il suffit d’en avoir envie et de se faire confiance

 

Sauf les fumeuses, droguées, sous traitement, celles qui ont des kystes aux seins, celles qui ont peu ou pas de lait, etc. Mais dites-vous bien quand même qu’il ne s’agit que d’une question de volonté et de confiance en soi ! Ne vous en prenez qu’à vous si ça rate.

Toutefois, si l’idée de donner le sein vous semble trop contraignante voire repoussante, il est essentiel de ne pas vous forcer

 

Là encore, on les remercie de leur prévenance. A quel moment parle-t-on contraintes exactement ? Attendez, je relis la doc, j’ai du rater des lignes. Sans doute quelque part entre empêcher ces vilains streptocoques de s’attaquer à bébé et le passage où on retrouve sa silhouette de jeune fille d’un coup de baguette magique. Vous parlez d’un p*** de choix !

L’important est de ne pas se sentir coupable de préférer le biberon à l’allaitement

Alors là, j’en reste baba… je me demande bien où est-ce qu’ils vont chercher l’idée qu’on puisse se sentir coupable de ne pas allaiter. Ne serait-ce pas parce que la mère qui ne donne pas le sein voue son petit aux affres de la maladie et limite ses expériences gustatives ? Mais la nature a déjà pourvu à la punition de la mécréante : incapable de se débarrasser de ses kilos de grossesse, elle ressemblera à une baleine sur la plage l’été prochain, la vilaine !

Mieux vaut donner le biberon avec tendresse et amour que le sein à contrecoeur

 

Je vous l’ai dis : un pis aller, ce bib !

 

Allez va ! J’en ai fini avec ce paragraphe.

« En discuter avec le papa ».

 

Aaaah les papas ! Mes lecteurs savent dans quelle haute estime je les tiens et je suis ravie que l’assurance maladie rappelle qu’effectivement, ils ont toute leur place.

 

Il semblerait que la place du papa est une considération fréquente de la jeune maman :

Quand elles vivent en couple, beaucoup de jeunes mamans optent pour le biberon car elles ont peur que l’allaitement n’exclut le papa de l’univers du bébé.

Et pour cause :

Il est vrai que le temps consacré aux repas de votre enfant est un moment privilégié,

Outre le fait que ce moment soit privilégié (aaaah la dévotion qu’on lit dans leurs petits yeux quand on les nourrit) c’est surtout la principale activité de bébé durant les toutes premières semaines de sa vie. C’est là où il vous accorde toute son attention (sans pleurer, accessoirement). Donc ouais, les mamans souhaitent partager ce moment important avec l’homme de leur vie… ça et le fait que c’est bien aussi de pouvoir nourrir bébé à tour de rôle la nuit. Passons…

 

mais il y a mille autres façons de signifier sa tendresse au bébé. S’ils ne donnent pas le biberon, les papas peuvent changer l’enfant, le baigner et surtout le câliner.

 

Mais c’est quoi ces pères qui ont des velléités nourricières ?! Déjà qu’ont leur donne le droit de baigner bébé et de le câliner, de quoi ils se plaignent ? Non mais franchement…

"Il n'existe pas de congé d'allaitement"

Bien, maintenant qu’on m’a donné « quelques informations [rigoureuses et impartiales] qui vous permettront peut être de prendre votre décision » un encart rond et jaune intitulé « Bon à savoir » attire mon œil.

 

Et en effet, les informations que contient cet encart sont très importantes. Sans aucune ironie de ma part.

 

Car dans cet encart, vous apprendrez qu’il :

n’existe pas de congé d’allaitement. Cependant en cas d’allaitement, vous pouvez bénéficier d’une réduction d’une heure de travail par jour durant la 1ère année de votre enfant. Cette heure n’est généralement pas rémunérée. Vous avez également la possibilité d’allaiter sur votre lieu de travail.

 

Je reprends : vous venez de lire une double page du guide de l’assurance maladie qui aurait dû s’intituler « Pourquoi l’allaitement est bon pour vous et pour bébé » qui implicitement vous met dans le crâne que c’est une priorité de santé nationale.

 

Maintenant on vous précise bien que si vous décidez d’allaiter, ne comptez sur aucune aide pour concilier votre choix avec votre activité professionnelle.

Pas de congé d’allaitement, non non ! Vous n’y songez pas malheureuse ? Déjà que la sécu est ruinée ! On ne va pas aider financièrement les jeunes mamans quand la culpabilisation fait des miracles.

 

Royal, le code du travail vous attribue une heure de réduction du temps de travail par jour… non rémunérée. Ne parlons pas des difficultés de la mise en place de cette généreuse mesure IRL (In Real Life pour les non initiés). Je passe volontairement sous silence le « généralement » car j’imagine qu’il dépend des conventions collectives ou des pratiques d’entreprise. Je suis assez rodée en la matière pour me douter que ce genre de disposition doit être rarissime.

 

Aussi rarissime que la pseudo possibilité d’allaiter sur son lieu de travail d’ailleurs (déjà qu’au resto, y en a qui vous regarde bizarre, alors en entreprise…)

 

Pour le coup, c’est à vous écoeurer d’allaiter et je comprends les mamans qui font le choix du sein et qui ont le sentiment que rien n’est fait pour les soutenir dans leur décision. Voire pire : que tout est fait pour les faire abandonner. Et franchement, on ne peut pas leur donner tort : en dehors d’interrompre leur carrière (les pénibles !), de rester à la maison (les paresseuses !), de voir leurs ressources financières diminuer considérablement (ne parlons même pas de la retraite), quels choix ont-elles ?

 

N’en déplaise à l’assurance maladie, si les françaises sont championnes du biberon au lait maternisé, c’est peut être vers là, plutôt que vers ces histoires de déformation de poitrine qu’il faut regarder.

 

Bien sûr, toutes les femmes ne sont pas autant contraintes ; les travailleuses indépendantes ou les cadres ont peut être un peu plus de latitude dans leur planning. Les très grosses entreprises ont peut être, pour certaines, des accords pour rémunérer des congés ou des temps partiels pour allaitement. Peut-être sont-elles équipées de lactarium. Quant au régime dans le public, je ne le connais pas. A mon sens, ça fait beaucoup de peut-être, qui au final ne concernerait qu’une minorité de travailleuses en France.

Glissement de terrain...

Il y a quelques mois de ça, lors de la parution du dernier livre d’Elisabeth BADINTER, j’étais surprise de la violence des échanges entre commentateurs autour du thème de l’allaitement.

 

C’est qu’en fait, le débat s’est déplacé du terrain pratique (comment faire pour que de jeunes parents puissent concilier au mieux leurs intérêts et celui de leur bébé) vers le terrain idéologique (retour aux vraies valeurs, à la nature, réalisation des aspirations personnelles de la femme au travers du travail, individualisme, …)

 

 

Sans vouloir faire de la psychanalyse à deux balles, n’y aurait-il pas une névrose collective au sens freudien du terme dans ce débat national ? Qui dit débat dit oralité non ? (allez, j’arrête là !)

 

Désolée de paraître nombriliste, mais avant de me balancer au visage les intérêts supérieurs de mon bout de chou ou bien l’intérêt supérieur de mon développement personnel et de mon autonomie, j’aimerai juste faire valoir mon droit à une information complète et non partisane sur une question (en apparence) toute bête : comment nourrir bébé ? Sans être le jouet d'idéologues, lobbyistes et autres endoctrinés.

 

Merci

 

[A venir, un billet sur les toutes nouvelles dispositions en matière d’attribution de trimestres pour la retraite à la naissance d’un enfant. Quant les papas vont devant la HALDE pour dénoncer une discrimination, comment la loi sur le sujet a été modifiée, et les drôles d’idéologies qui soutiennent ce nouveau texte…]

 

Article édité ici le 27 juin 2010



28/03/2011
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